28.11.06

A propos du projet d'un Institut des cultures musulmanes
Première contribution à la réflexion

Rassemblés au sein du Collectif des Habitants de la Goutte d’Or, quartier auquel nous sommes très attachés, nous sommes souvent amenés, en tant qu’observateurs concernés de la vie locale, à intervenir publiquement à propos de certaines actions ou projets initiés par les pouvoirs publics sur le quartier.

Il s’agit de projets qui interpellent par leur caractère inadapté ou inopportun et qui, en tout état de cause, ne semblent pas être motivés par la volonté de satisfaire avant tout aux besoins et aux aspirations des populations.

D’autant que celles-ci ne peuvent véritablement pas faire connaître leurs opinions.

Les instances officielles de démocratie locale qui devraient permettre cette expression sont inopérantes à cause d’un encadrement rigide qui en limite l’ancrage populaire.

Les associations du quartier sont, pour la plupart elles aussi, bridées dans leur rôle de porte voix des habitants par les durs impératifs des subventions qui les font vivre.

Le collectif des habitants considère, dès lors, son intervention citoyenne comme une nécessité démocratique tant en direction des populations pour les informer des projets qui les concernent, qu’en direction des décideurs publics pour les interpeller quand au sens de leur action sur le quartier.

Cette démarche pour la défense du quartier et de tous ses habitants s’inscrit délibérément dans le cadre de principes fondamentaux intangibles à savoir :

1- le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles, en particulier l’affirmation de l’égalité en droit pour les hommes et les femmes, l’affirmation du principe de laïcité qui implique le maintien de la religion dans la sphère privée et la défense de la citoyenneté et des droits politiques pour tous.

2- La défense des intérêts économiques, sociaux et culturels des populations dans le respect de la diversité des besoins et des sensibilités

Un quartier cosmopolite mais déshérité

La Goutte d’Or Château Rouge est riche d’une pluralité de populations aux origines multiples et aux cultures diversifiées. Issues de trente sept nationalités différentes, elles y vivent et se côtoient dans le respect et la compréhension mutuelle.

Cette multiplicité a donné au quartier son caractère traditionnellement cosmopolite où il fait bon vivre ensemble en dépit d’une réputation de ghetto misérabiliste que les municipalités successives n’ont pas su ou pas voulu corriger.

Malgré le programme de travaux engagé, la Goutte d’Or détient en effet, accumulés, les records absolus du plus grand nombre de logements insalubres et de squats, du taux de chômage le plus élevé, du plus grand nombre de familles en difficultés sociales et économiques, d’une densité record d’activités informelles en contravention avec les normes de l’hygiène et de la consommation, d’une communautarisation aberrante qui détruit toute possibilité de mixité sociale dans les écoles, les logements et les commerces.

L’école publique y est sinistrée et l’échec scolaire élevé. Moins de la moitié des effectifs d’élèves de troisième des collèges parviennent à être admis en seconde de lycée.

Elle est à l’image du quartier dont elle partage le sort malgré les efforts déployés par un personnel éducatif responsable mais impuissant à satisfaire une demande d’instruction forte, à la mesure des aspirations à l’accès au savoir pour leur progéniture, de populations qui en ont toujours été privées.

Notre quartier est véritablement laissé pour compte des politiques publiques, que l’administration et les responsables politiques (toutes couleurs confondues) n’ont jamais cessé de considérer comme un réceptacle de toutes les nuisances et dont ils ont allègrement abusé de la faiblesse de ses groupes sociaux pour imposer aux habitants des choix injustes au lieu de répondre à leurs attentes et développer des politiques d’aide sociale réelles et concrètes, de soutien linguistique et éducatif, de restauration du tissu culturel et commercial et d’éradication de la délinquance

L’Etat, la Région et la Ville de Paris ne finançaient-ils pas un projet d’implantation d’un centre de soins pour toxicomanes au carrefour de cinq écoles du quartier alors qu’il existe déjà six centres du même type dans l’arrondissement et ce, en dépit de l’avis des experts et des citoyens inquiets des conséquences d’un tel projet qui menace leur sécurité, dévalorise leur cadre de vie et fragilise encore plus leur quartier ?

Ne s’apprête-t-on pas, avec le projet d’aménagement de la ligne du Bus 60, dit projet « Mobilien », en dépit de toutes les mises en garde des habitants, à asphyxier encore un peu plus le quartier en y concentrant le flux des véhicules drainé par deux axes rouges à fort trafic ?

On attend toujours de la puissance publique qu’elle mette un terme au commerce informel qui prolifère dangereusement sur les trottoirs de la rue Poulet interdisant toute circulation piétonnière normale, ou encore à l’affichage massif de tracts sectaires et aux prêches publics organisés fréquemment sur le marché et la sortie de la station de métro Château Rouge ?

Ce désintérêt manifeste pour des solutions adaptées aux problématiques du quartier n’est-il pas, jusqu’à la caricature, le signe de l’abandon des classes populaires par toutes les élites politiques ?

Secret et langue de bois pour un projet à hauts risques

Sur un autre plan, le quartier est l’objet d’un projet d’installation d’un centre des Cultures Musulmanes discrètement préparé par le service culturel de la Mairie de Paris.

Un tel projet interpelle et conduit à s’interroger sur sa finalité et son opportunité dans notre quartier.

Une note confidentielle adressée à certains habitants décrit les objectifs et le contenu de ce centre. Il consiste en la construction aux intersections des rues Polonceau et des Poissonniers ainsi qu’à l’angle formé par les rues Stéphenson et Doudeauville, de deux établissements religieux dévolus à l’étude et à la pratique de l’Islam.

Le document est édifiant tant il emprunte aux lieux communs, aux fausses évidences et à l’acrobatie de langage pour justifier l’installation de cette immense institut doté de « formations diplômantes de haut niveau », de pôle de recherche « axé sur l’étude de l’islam en France » de centre de documentation « exclusivement dédié aux cultures musulmanes », d’activités culturelles « en lien avec le référant islam », et d’activité cultuelle « avec des salles dédiées en permanence à l’exercice du culte »

Pourquoi un tel projet à la Goutte d’Or ?

« Ce quartier, emblématique d’une présence musulmane désormais inscrite dans l’histoire longue de Paris, apparaît comme le point d’ancrage idéale de cet institut » explique le document.

L’argument procède d’une vision réductrice et historiquement infondée.

Une histoire laïque et ouvrière ignorée

Réductrice à l’égard des populations originaires des Pays du Maghreb, puisque c’est surtout d’elles qu’il s’agit, qui sont globalement assimilées à une masse indistincte de musulmans, quand bien même de nombreuses personnes sont laïques ou même athées et que la plupart se conçoivent avant tout comme des individus et des citoyens libres qu’on ne peut réduire à la simple dimension d’une identité religieuse.

Infondée au regard de l’influence culturelle et sociale d’inspiration ouvrière, laïque et pas du tout religieuse, qu’a exercé sur la vie de ce quartier la présence de milliers de maghrébins qui s’y sont succédés depuis le début du siècle dernier.


C’est dans les nombreux cafés bars et hôtels meublés de la Goutte d’Or que vivaient ces immigrés, généralement originaires d’un même village ou d’une même région, unis par des rapports d’entraide et de solidarité hérités de la communauté d’origine et confortés par les traditions ouvrières du quartier. La vie culturelle y était intense. Elle trouvait son expression dans la poésie et le chant et puisait son inspiration dans la nostalgie du pays, l’amour et l’exil.

C’est à partir de ces lieux de vie qu’a pris son essor et a rayonné la chanson populaire maghrébine aux styles diversifiés ( Kabyle, Rai, Chaabi, marocain etc…) et qu’ont émergé, à côté d’autres, les nombreux artistes qui en ont été les ambassadeurs.

L’arrivée des premières migrations africaines au début des années 1960 a amplifié cette vocation artistique du quartier et celui-ci en porte ostensiblement l’empreinte au vu de la multitude de maisons d’éditions musicales et artistiques qui y ont prospéré.

De même, l’installation, à partir des années 1970 de nombreuses familles d’immigrés venues rejoindre le père travailleur a–t-elle contribué à enrichir le quartier de nouvelles traditions mais aussi et surtout à y favoriser l’expression d’une aspiration de ces familles et de leur progéniture à la reconnaissance de l’égalité citoyenne dans le cadre des principes de la République.

N’est–ce pas à la Goutte d’Or que sont nées ou se sont installées les premières radios communautaires à vocation laïque ( Radio Soleil, rue Stéphenson; Radio Maghreb, rue des Gardes; Radio Beur, rue Polonceau ) ou des journaux et revues ( « Sans Frontières » rue Stephenson; « Nous Autres », rue Polonceau) qui ont publiquement porté cette expression.

N’est-ce pas de la Goutte d’Or, en particulier, que s’est déployé au début des années 1980 la mobilisation des jeunes issus de l’immigration pour animer, à travers toute la France, le combat citoyen pour l’égalité et contre le racisme.

Ainsi, de mémoire d’habitant, la religion est toujours demeurée un élément de la conviction intime et de la pratique privée de populations du quartier en dehors de toute fonction publique de référent identitaire. C’est une évidente confirmation de la Goutte d’or dans sa fonction traditionnelle de bastion de l’expression culturelle et diversifiée plus que de celle de temple d’une expression religieuse pour laquelle, d’ailleurs, aucun lieu de culte n’a vu le jour en dépit de 70 ans de présence de ses supposés adeptes.

La montée de l’intégrisme et du communautarisme religieux

C’est seulement depuis les années 1980, au lendemain de la victoire de la révolution islamique en Iran, que la pratique publique du culte musulman s’est installée dans le quartier.

La mosquée piétiste Al Fath est la première à s’implanter rue Polonceau en 1987 à l’initiative d’un tailleur malien financé par des fonds Saoudiens pour revivifier la foi des travailleurs immigrés africains.

Elle est suivie bientôt par d’autres qui constitueront à la fin de la décennie 1980 un bastion pour l’islamisme militant en plein essor.

Dans le prolongement de son ascension dans des Pays du Maghreb et plus particulièrement en Algérie où elle fut encouragée par le pouvoir en place pour contrer l’influence des tenants de la berbérité et des démocrates, la mouvance islamiste s’est mobilisé pour étendre son emprise au quartier de La Goutte d’Or perçu sans doute par elle aussi « comme le point d’ancrage idéal de son influence ».

Un réseau d’associations cultuelles a été mis sur pied qui a improvisé plusieurs salles de prières dans des conditions précaires et inadaptées pour accueillir des fidèles du quartier et ceux d’autres arrondissements que l’on a pressés de venir écouter les discours politico-religieux de prosélytes enflammés.

Les autorités locales, complaisantes, ont détourné, chaque vendredi, la circulation des rues jouxtant les mosquées ouvrant ainsi l’espace public aux démonstrations de force d’un radicalisme religieux ostensible et conquérant.

Des associations islamiques animent des officines d’éducation religieuse ou s’opère l’endoctrinement de jeunes enfants d’origine maghrébine et africaine du quartier, des échoppes s’installent, en nombre, dans le commerce d’une littérature dogmatique et obscurantiste tandis que de plus en plus de boutiques affichent sur leurs enseignes des signes ou des noms qui empruntent à la symbolique religieuse.

Ainsi le quartier s’enferme-t-il peu à peu dans un communautarisme religieux qui envahit la rue, les commerces, les écoles et y soumet insidieusement les individus d’origine musulmane aux diktats d’un intégrisme communautaire déstabilisant qui leur impose sa norme en matière de culte et de comportement au risque de les soustraire à la protection des lois de la République.

L’Islam otage de l’Islamisme politique

L’Islam qui fut et est encore la religion d’une frange importante de la population de notre quartier tend à devenir l’otage de l’Islamisme c'est-à-dire d’un projet politique qui vise à un contrôle idéologique et moral de la société en s’appuyant sur la masse des jeunes exclus que les politiques publiques abandonnent au repli identitaire sur des illusions passées.

Il est d’ailleurs significatif d’observer le peu de considération accordé aux pratiquants par cet islamisme militant dans notre quartier. Il ne respecte ni les préceptes rituels en matière de condition d’hygiène pour la prière ni les exigences minimales de confort nécessaires à son accomplissement dans des conditions décentes.

Comme si la démarche des islamistes procédait avant tout d’une simple logique de recrutement de fidèles à l’image d’autres formations politiques.

Il n’est pas inutile d’insister, ici, sur la nécessité de bien distinguer la religion musulmane qui relève de la conscience individuelle ou collective de millions de personnes dans le monde de son instrumentalisation à des fins politiques.

La religion musulmane doit être reconnue et bénéficier, dans le respect des lois de la République et du principe de laïcité, du même traitement que les autres religions. Toute discrimination à cet égard doit être combattue au nom de la défense de la liberté de conscience. Il s’agit, à ce titre, d’un combat politique et non religieux qui concerne tous les citoyens attachés à la libre expression d’une sensibilité religieuse en dehors de toute main mise des mouvements intégristes engagés dans la conquête du pouvoir.

Dans les pays ou ils se déploient, ces mouvements cherchent avant tout à exploiter les aspirations à l’émancipation politique, sociale et intellectuelle de populations déshéritées et laissées pour compte de régimes prévaricateurs, oppresseurs et corrompus, pour détourner la dynamique de contestation à leur profit vers le projet d’une société théocratique gouvernée par les islamistes et la loi divine (chari’a).

Les exemples de pays qui vivent cette main mise ou qui y sont exposés sont malheureusement légion avec toutes les conséquences dramatiques qui en résultent pour les populations. Les habitants de notre quartier et plus particulièrement ceux d’origine algérienne le savent bien, eux, dont le pays a été mis à feu et à sang, dix ans durant, par des groupes islamiques armés causant des dizaines de milliers de victimes au sein du peuple algérien.

La France n’a pas échappé aux actions terroristes, y compris au cœur de notre quartier de la Goutte d’Or, avec l’assassinat en 1995 en pleine mosquée de la rue Myrha de Cheikh Sahraoui, un des fondateurs du Front Islamique du Salut algérien.

L’influence des mouvements intégristes en France se poursuit inlassablement sous l’impulsion de réseaux d’associations d’islamistes et surtout de convertis qui envahissent l’espace public avec la bénédiction voire le soutien de certains intellectuels ou militants de gauche que leur mauvaise conscience post-coloniale rend sensibles au discours tiers-mondiste ou communautariste des idéologues intégristes.

Les lieux de culte, les universités, les écoles, les espaces associatifs, les forums, les centres de conférences, les médias sont autant de terrains d’intervention pour ces idéologues qui y distillent un discours mystificateur faisant feu de tout bois (anti-impérialisme, anti-racisme, exploitation des sentiments identitaires, indigénisme,.…) pour forger les consciences et exacerber les ressentiments de jeunes français d’origine musulmane que l’on veut convaincre de l’avènement d’une guerre de civilisations qui opposerait le monde islamique à l’Occident.

S’appuyant sur une lecture fondamentaliste de l’Islam et sous prétexte d’un retour à ses valeurs originelles, les intégristes s’opposent aux principes de citoyenneté, de laïcité et de défense des droits de l’homme qu’ils rejettent comme valeurs de l’occident et prônent une idéologie qui enferme l’individu dans un univers de croyances et de règles de comportement qui le rendent docile et facilement manipulable.

Cette évolution générale s‘observe de plus en plus dans notre quartier. Elle inquiète beaucoup d’habitants et conduit nombre d’entre eux à le déserter lorsqu’ils en ont les moyens. Il en est de même des commerces traditionnels nombreux à fermer boutique. La mixité sociale, présentée comme une nécessitée incontournable à l’amélioration de la situation, est singulièrement mise à mal en dépit de l’opération de rénovation de l’immobilier urbain qui devait en principe la promouvoir.

La diversité culturelle qui fut, dans ce quartier, le creuset d’un vivre ensemble harmonieux depuis des lustres est ainsi battue en brèche par le processus de ghettoïsation en cours sans que le réseau associatif subventionné à vocation sociale et culturelle ne parvienne à l’endiguer, par impuissance, par démission ou plus gravement par complaisance à l’égard du radicalisme religieux au nom de l’idéologie du relativisme culturel en vogue dans ce milieu.

Le projet ne répond pas aux besoins des habitants

Puisqu’il s’agit de réaliser de lourds investissements sur fonds publics à la Goutte d’Or, est-il responsable de les consacrer en priorité à la pratique du culte et au rayonnement de la culture religieuse sachant les besoins autrement plus vitaux des populations musulmanes ou non de ce quartier en matière de formation pour favoriser l’intégration et l’accès à l’emploi, de logements décents, de soins et de prévention, de structures de soutien scolaire, d’animation éducative et de loisirs, de formation civique et citoyenne , en un mot de structures et d’équipements qui contribuent à l’émancipation économique, sociale et culturelle et non à l’enfermement proposé ? Ne vaudrait-il pas mieux créer un espace polyvalent et laïque capable de répondre à tous ces besoins qui sont d’une évidence criante ?

Et, plus fondamentalement, n’est ce pas le rôle de l’école et plus généralement du système éducatif républicain que de contribuer à apporter des réponses aux questionnements identitaires légitimes des enfants issus de cultures plurielles par la valorisation des savoirs scientifiques, culturels et par des démarches d’aide à la compréhension des phénomènes religieux.

Il faut bien convenir pour toutes ces raisons que, contrairement au lieu commun largement répandu, la Goutte d’Or n’a pas spontanément vocation à être le lieu idéal de déploiement de structures relevant du culte et de la religion. Les habitants de ce quartier les ont-elles jamais réclamées ?

Assurément non et, s’agissant du projet d’implantation par la Mairie de Paris d’un Centre des cultures Musulmanes, il faut constater qu’aucune enquête publique n’a diagnostiqué chez les populations concernées le besoin local d’un tel projet.

Si, d’ailleurs une telle enquête venait à être entreprise comment fera-t-on pour comptabiliser les habitants musulmans sachant l’impossibilité légale de dénombrer une population en raison de son appartenance religieuse (Cnil) ?

Force est de constater donc que le projet se soucie peu des besoins réels des habitants de la Goutte d’Or. Il en instrumentalise la composante d’origine musulmane pour justifier l’implantation d’un complexe à vocation religieuse destiné à l’ensemble des parisiens et franciliens à qui il propose des activités universitaires, culturelles et cultuelles.

Autant d’activités qui correspondent à des publics différents qui seront alors drainés vers le quartier ajoutant aux inextricables problèmes de circulation, de parking, de surpopulation, d’encombrement etc.

L’ampleur du projet est de toute évidence surdimensionnée par rapport aux possibilités d’accueil de ses deux lieux d’implantation, rue Polonceau et rue Stephenson.

Il y lieu, dans ces conditions, de douter fortement de la sincérité des objectifs affichés par la Mairie de Paris d’œuvrer « à la reconnaissance d’une identité spirituelle et culturelle », de créer une possibilité réelle « d’offrir à tous les parisiens et franciliens les moyens de se familiariser ou d’approfondir leur relation avec l’Islam » ou de favoriser ainsi « le vivre ensemble et le dialogue entre les citoyens. »
N’est ce pas déjà la vocation de la Grande Mosquée de Paris implantée sur un vaste espace au cœur du cinquième arrondissement ?

Un calcul « sarkoziste » au détriment de la laïcité

La question, se pose alors de savoir quel est véritablement le but de la Ville et des pouvoirs publics à vouloir à tout prix interférer dans l’organisation du culte musulman dans la Capitale.

D’autant que cette forme d’implication est en contradiction avec la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en vertu de laquelle la République « ne reconnaît et ne salarie aucun culte ».

Veut-on renouveler l’expérience de 1926 lorsque, déjà, l’Etat et la Ville de Paris avaient financés sur fonds publics l’édification de « l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris » qui fut confié à des dignitaires musulmans partisans de la politique coloniale de la France.

Plus qu’un lieu de culte pour les musulmans, La Grande mosquée de Paris était alors instrumentalisée à des fins de politique étrangère au grand dam des milieux nationalistes Maghrébins qui avaient clamés leur hostilité au projet.

Si tant est qu’il s’agisse, aujourd’hui, de promouvoir un Islam de France, comment les promoteurs du projet de Centre des Cultures Musulmanes vont-ils le préserver de la dérive intégriste ?

Les lieux de culte installés partout ailleurs ne sont-ils pas investis dans la plupart des cas par un islamisme militant qui en fait le centre de son déploiement sur les quartiers des grandes villes et sur les banlieues ?

N’est-il pas, à cet égard, inquiétant d’observer comment l’institutionnalisation du culte musulman par le Ministère de l’Intérieur a conduit, à travers la création du Conseil Français du Culte Musulman, à confier la gestion et la représentation d’un prétendu Islam de France aux tenants du radicalisme et du communautarisme religieux ?

Cette évolution renforce la main mise des groupes intégristes sur les quartiers populaires. Elle est préjudiciable avant tout aux très nombreux Français d’origine Maghrébine, laïques ou même pratiquants qui ne se reconnaissent pas dans le discours religieux et à fortiori intégriste de leurs prétendus représentants.

Le rôle des pouvoirs publics n’est-il pas de contrecarrer une telle évolution au lieu de chercher à la favoriser ?
La sauvegarde des fondements républicains et laïques de la citoyenneté le commanderait. Sauf à céder à la tentation, bien présente chez nombre d’hommes politiques, d’opter pour une stratégie consistant à sous traiter à des associations islamistes la gestion communautariste des quartiers populaires, considérant la religion comme la réponse aux problèmes socioculturels et identitaires des population concernées.

L’installation d‘infrastructures matérielles confortables et adaptées à l’activité religieuse prend alors tout son sens car il s’agit avant tout d’un investissement politique qui présente un double avantage.

Le premier est de parvenir à exercer un contrôle social et politique des cités et quartiers ghettos par l’entremise d’un réseau associatif à vocation cultuelle chargé de l’encadrement politique et idéologique de la jeunesse déshéritée des quartiers. Les imams y deviendraient les gardiens de l’ordre social et religieux.

Le second avantage, à visée cyniquement électoraliste, est de pouvoir mobiliser les relais associatifs, intéressés, pour capter les suffrages communautaires de certains français musulmans qui peuvent être déterminants dans les compétions électorales à tous les niveaux.

Le projet d’implantation d’un Centre des Cultures Musulmanes dans notre quartier semble s’inscrire dans cette perspective. Sa livraison est prévue pour 2010, mais il devrait dores et déjà prendre la forme d’un centre de « préfiguration » qui sera installé, dès septembre 2006, dans les baraquements inadaptés situés au 23 rue Léon.

Ces baraquements étaient initialement destinés à être détruits et remplacés par des logements sociaux.

Mais l’empressement de la Mairie de Paris à concrétiser ce projet avant les futures et imminentes échéances électorales a manifestement prévalu.

26.11.06

INSTITUT DES CULTURES MUSULMANES
Contribution au débat

Chère voisine,
Merci pour votre participation à la réflexion suscitée par le projet de création d’un Institut des cultures musulmanes dans le quartier.
Votre réaction appelle des remarques sur de nombreux points.
Nous avons seulement retenu les suivants

1- Pourquoi la Mairie veut installer une mosquée à la Goutte d’Or ?
Le projet d’ICM consiste bien en en une mosquée, comme vous le dites, et son initiateur Hamou Bouakaz, conseiller du Maire de Paris pour les affaires du Culte, l’envisage bien comme tel dans touts ses interventions publiques ( Nouvel Obs sept 2006). S’il est peu précis sur les activités culturelles de ce centre, évoquées sans doute essentiellement pour justifier son financement au regard de la loi, il est plus prolixe en matière de culte puisque il dit clairement que chaque bâtiment consacrera mille mètres carrés, soit la moitié de sa superficie, à l’accomplissement de la prière.
Cela va-t-il changer les conditions actuelles déplorables de son accomplissement comme vous semblez le penser ? Il y a lieu d’en douter fortement sachant qu’il sera quasiment impossible au centre envisagé de faire beaucoup mieux que les deux mosquées actuelles, celle de la rue des Poissonniers et celle de la rue Myrha, de capacités semblables (huit cent mètres carrés au sol chacune) et qui reçoivent au total près de quatre mille fidèles chaque vendredi. Ces deux lieux de culte suffiraient, sans doute, largement aux besoins cultuels des seuls pratiquants du quartier, si ne se rajoutaient des centaines de fidèles venant d’autres quartiers ou de la Banlieue pour y accomplir la prière.
Chaque mosquée accueille des fidèles selon divers critères d’affinité ayant trait à la sensibilité religieuse, à l’obédience politique, à la nationalité d’origine, au lieu d’implantation, etc .

Cet afflux fait que plus de la moitié des pratiquants se retrouvent à prier dans la rue.
La responsabilité en incombe d’abord aux pouvoirs publics, plus précisément au ministère de l’intérieur, qui autorise complaisamment l’occupation de l’espace public par ces mosquées. Elle incombe également aux gérants de ces établissements qui, pour des raisons pas toujours désintéressées, laissent se perpétuer une pratique peu valorisante pour l’Islam et ses fidèles.
Vous conviendrez que dans ces conditions, l’amélioration de la pratique du culte sur le quartier demande une prise en charge sérieuse du problème.
Cela implique un changement radical des comportements de la part des acteurs concernés.
D’abord des pouvoirs publics qui doivent, en la matière, s’en tenir à l’application de la loi et au respect des droits et des devoirs qui régissent l’exercice de tous les cultes. Leurs initiatives spécifiques dans ce domaine n’ont jamais véritablement profité à la cause qu’elles prétendaient servir.
Des gestionnaires de mosquées également, à qui incombe la responsabilité de veiller à réunir les conditions minimales indispensables à un exercice digne de la pratique du culte.
Des concernés eux-mêmes enfin, les croyants, qui doivent refuser d’accomplir la prière dans des conditions misérables qui leur sont faites. N’est-ce pas, traditionnellement, aux fidèles de se donner les lieux de culte qui leur conviennent ?
Qu’il faille remédier à la situation actuelle est une évidence.
Mais est-ce à la Mairie de Paris de suppléer aux manquements aux conditions de l’exercice du culte sur le quartier? Et si oui, est-ce en implantant une mosquée à vocation francilienne, de capacité sous dimensionnée par rapport à la fréquentation actuelle, dans un quartier fortement encombré et aux rues constamment saturées que l’on espère parvenir à régler le problème ?
Vous serez sans doute d’accord pour penser que les dix millions d’euros de fonds publics investis dans le projet seraient-il mieux employés à financer un établissement mieux adapté, dans un endroit spacieux, ouvert et accessible.

2- A propos des influences qui s’exercent sur l’Islam dans le quartier.

Précisons d’abord que pour justifier son projet sur la Goutte d’Or la Mairie de Paris fait référence à la présence historique des immigrés maghrébins dans le quartier.
Vous reconnaissez sans doute là, le lieu commun habituel réduisant systématiquement l’immigré maghrébin à sa prétendue identité religieuse. L’argument est fallacieux car, contre toute évidence, les maghrébins qui ont effectivement vécus en nombre dans ce quartier n’ont à aucun moment, depuis le début du siècle jusque dans les années 1980, manifesté leur appartenance confessionnelle ou réclamé et initié le moindre lieu de culte.
Il est vrai que le développement de l’immigration familiale, depuis cette époque, avec l’installation et la sédentarisation dans le quartier de familles venues rejoindre le père travailleur a quelque peu modifié la donne. Avec le temps, il s’est développé au sein de ces populations et de leur progéniture le besoin légitime d’affirmer leur place au sein de la collectivité et de faire connaître et reconnaître les éléments constitutifs de leurs identités d’origine. Que l’Islam en soit le substrat n’est en rien surprenant s’agissant de populations originaires de pays à sensibilité musulmane. Mais cette affirmation identitaire initiale ne reposait nullement sur l’appartenance confessionnelle. Elle était citoyenne et laïque.

Rappelez-vous qu’au cours des années 1980, elle était portée par les mouvements de jeunes issus de l’immigration qui revendiquaient pour eux et leurs familles l’égalité citoyenne et la reconnaissance de leur différence conçue comme la liberté d’exprimer et de valoriser leurs spécificités culturelles, artistiques, linguistiques dans l’espace publique français. Il y avait là une volonté d’affirmation de soi dans une démarche d’ouverture aux autres et d’intégration à la société d’accueil.
Cette revendication à donné lieu à de grandes mobilisations politiques de jeunes (marche des « Beurs » pour l’égalité), à de puissants mouvements sociaux (grèves de travailleurs immigrés dans l’automobile notamment) et à l’émergence de l’expression culturelle maghrébine sur la scène publique.
Mais ce mouvement d’affirmation et d’émancipation a trouvé ses limites dans les multiples obstacles dressés sur le chemin de l’intégration économique et sociale de la jeunesse issue de l’immigration.
Avec le temps et les désillusions la revendication identitaire initiale va peu à peu être détournée vers l’affirmation d’une identité islamique. L’appartenance religieuse et communautaire apparaît alors comme un thème majeur de mobilisation pour revendiquer une place dans la société française.

L’Islam devient un enjeu politique et idéologique au sein de la société française.
Cette évolution est portée par diverses instances intéressées. Qu’il s’agisse d’associations cultuelles locales plus ou moins liées à des mouvements piétistes de réislamisation des immigrés type « jama’at al tabligh » (société pour la propagation de l’islam), d’associations religieuses liées aux Etats des pays d’origine soucieux d’exercer un contrôle sur leurs ressortissants ( Algérie et Maroc notamment), de groupements d’islamistes militants adeptes d’un intégrisme en plein essor ou enfin d’institution étatiques françaises ou de politiciens locaux attentifs à l’émergence d’un possible vote musulman, tous cherchent à étendre leur influence et à exercer un contrôle politique et religieux sur les populations à sensibilité musulmanes dans les quartiers.

A partir des années 1980, deux évènements vont se conjuguer pour favoriser la propagation de l’islam en France.
Il s’agit en premier lieu de l’afflux massif de financements en provenance des pays arabes du Golfe et plus particulièrement d’Arabie Saoudite. Ces fonds sont dispensés directement par le Royaume ou par l’intermédiaire du bureau parisien de la Ligue Islamique Mondiale, d’obédience saoudienne qui est chargée d’aider les associations islamiques à acquérir la propriété de locaux et à implanter des mosquées dans les quarter à forte présence d’immigrés.
Il en est résulté un accroissement très rapide du nombre de mosquées et de salles de prière en France. Plus d’un millier d’entre elles ont été aménagées entre 1980 et 1985 dont la mosquée « EI Feth », rue Polonceau à la Goutte d’Or financée par des fonds saoudiens.
Vous noterez, en passant, que ces financements n’ont généralement donné lieu qu’à des édifices peu adaptés de même type que ceux que vous connaissez dans notre quartier.

Le second évènement majeur est le renversement du pouvoir du Chah par la révolution iranienne. Cet événement a joué un rôle d’accélérateur de l’affirmation de l’identité islamique en suscitant parmi les populations immigrées un élan de sympathie à l’égard de cette révolution islamique qui est apparue, un moment, comme une alternative possible aux régimes dictatoriaux au pouvoir dans tous les pays arabo-musulmans.
Cette rencontre des dollars saoudiens et du prestige des ayatollahs iraniens a créé, par delà les divergences doctrinales entre wahabisme et schiisme, les conditions matérielles et idéologiques qui ont présidé à l’avènement de l’islam sur la scène publique française.

3 - Les différents types d’opposition à ce projet de la Mairie.
Le projet de centre des cultures musulmanes envisage d’intégrer la mosquée de la rue Polonceau et celle de la rue Myrha. Il sera réparti sur deux sites, l’un rue Polonceau et l’autre à l’angle de la rue Stephenson et Doudeauville.

La première opposition vient des habitants qui ont une bonne connaissance des difficultés du quartier et notamment les problèmes d’encombrement et de stationnement, sans oublier la surcharge du métro certains jours de la semaine.
Le centre des cultures musulmanes étant présenté comme ayant vocation d’accueillir les habitants de toute l’Ile-de-France beaucoup de résidents du quartier se sont alarmés quand ils ont découvert le projet. Parmi eux, on peut penser, que la plupart ne sont pas opposés à un lieu de culte musulman

La seconde opposition vient de personnes d’origine musulmane, arrivées avec les différentes vagues d’immigration, qui se sont installées dans le quartier et qui aspirent à y mener leur vie en tant que citoyen en dehors de toute allégeance communautaire, ethnique ou religieuse. Les chiffres au niveau national confirment cette tendance puisque 73% des immigrés interrogés se prononcent en faveur des valeurs républicaines notamment de la laïcité.
Parmi ce groupe de personne beaucoup ont gardé un contact étroit avec leur pays d’origine. Ils sont attentifs à ce qui s’y passe quand ils y retournent ou par les contacts familiaux qu’ils y ont gardés. Ils sont généralement très sensibles aux signes et aux pressions diverses qui peuvent se manifester sur le quartier. Certains sont déjà partis, inquiets de la montée du communautarisme religieux et de l’intégrisme qui s’est développé depuis les années 90. D’autres partiront, si les espaces religieux continuent, dans ces conditions, à être concentrés sur ce quartier.

Le troisième type d’opposition vient des gens qui restent très attaché au principe même de laïcité et qui considèrent que c’est un garde fou indispensable contre tous les intégrismes actuels et à venir. Ce garde fou est d’autant plus indispensable qu’au prétexte de « moderniser » on voit, chez nombre de nos politiques, la tentation de s’appuyer sur les différents communautarismes religieux. En un mot la laïcité reste le concept clef pour vivre ensemble sur ce quartier.
La quatrième opposition vient du recteur de la mosquée rue Myrha qui refuse catégoriquement de déménager sa mosquée pour intégrer le futur centre sur le site de la rue Stéphenson Doudeauville. Il estime qu’il s’agit d’une main mise de la Ville sur les affaires du culte musulman et que les musulmans sont des adultes qui peuvent les gérer eux-mêmes. Le mufti de Marseille ne dit pas autre chose quand il pense que les musulmans peuvent financer leurs locaux en particulier grâce à la « redevance » des boucheries hallales.

Ces quatre types d’opposition au projet se recoupent bien évidemment. Nous ne parlons pas ici de l’opposition raciste d’extrême droite qui doit cependant être prise très au sérieux car elle risque de trouver à l’occasion de ce projet du grain à moudre pour sa propagande

Nous nous arrêterons là pour le moment, restant bien entendu disponibles et attentifs à vos éventuels commentaires.

Le collectif Goutte d’Or Château Rouge

10.11.06

Lettre au Conseiller du Maire de Paris pour les questions du culte.

Monsieur le Conseiller technique,

Nous avons lu avec attention l’interviewe que vous avez accordé au Nouvel Observateur.
Vous écrivez à propos de l’installation dans notre quartier d’un Institut des cultures musulmanes que « l’enjeu pour le 18é… est de permettre à chacun de s’épanouir dans son identité et d’offrir en partage sa singularité aux autres Parisiens ».
Faut-il considérer que l’identité d’un citoyen ne peut se concevoir qu’à travers sa supposée appartenance religieuse ? On ne pourrait donc s’épanouir qu’en tant que catholique, juif ou musulman, comme si les individus ne pouvaient prendre aucune distance à l’égard de la religion. Comme s’il n’y avait d’autre singularité à partager que celle de son appartenance confessionnelle?
L’histoire de notre quartier montre tout le contraire. Quiconque connaît cette histoire sait qu’en dépit des tentatives d’islamisation des populations depuis quelques années par des groupes politiques, la grande majorité des musulmans du quartier n’acceptent pas de subir l’enfermement religieux.
Combien d’entre eux qui, sans renier leur origine ethnique, culturelle ou religieuse, ont quitté le quartier pour fuir cette pression qu’ils jugeaient trop pesante ?
Par conséquent votre conception d’une identité à caractère communautaire et religieux nous parait réductrice et dangereuse pour notre quartier. Elle cautionne les dérives communautaristes déjà à l’œuvre.
Dans cet esprit le choix du Maire de Paris d’y implanter un Institut des Cultures musulmanes
nous parait irresponsable.