26.11.06

INSTITUT DES CULTURES MUSULMANES
Contribution au débat

Chère voisine,
Merci pour votre participation à la réflexion suscitée par le projet de création d’un Institut des cultures musulmanes dans le quartier.
Votre réaction appelle des remarques sur de nombreux points.
Nous avons seulement retenu les suivants

1- Pourquoi la Mairie veut installer une mosquée à la Goutte d’Or ?
Le projet d’ICM consiste bien en en une mosquée, comme vous le dites, et son initiateur Hamou Bouakaz, conseiller du Maire de Paris pour les affaires du Culte, l’envisage bien comme tel dans touts ses interventions publiques ( Nouvel Obs sept 2006). S’il est peu précis sur les activités culturelles de ce centre, évoquées sans doute essentiellement pour justifier son financement au regard de la loi, il est plus prolixe en matière de culte puisque il dit clairement que chaque bâtiment consacrera mille mètres carrés, soit la moitié de sa superficie, à l’accomplissement de la prière.
Cela va-t-il changer les conditions actuelles déplorables de son accomplissement comme vous semblez le penser ? Il y a lieu d’en douter fortement sachant qu’il sera quasiment impossible au centre envisagé de faire beaucoup mieux que les deux mosquées actuelles, celle de la rue des Poissonniers et celle de la rue Myrha, de capacités semblables (huit cent mètres carrés au sol chacune) et qui reçoivent au total près de quatre mille fidèles chaque vendredi. Ces deux lieux de culte suffiraient, sans doute, largement aux besoins cultuels des seuls pratiquants du quartier, si ne se rajoutaient des centaines de fidèles venant d’autres quartiers ou de la Banlieue pour y accomplir la prière.
Chaque mosquée accueille des fidèles selon divers critères d’affinité ayant trait à la sensibilité religieuse, à l’obédience politique, à la nationalité d’origine, au lieu d’implantation, etc .

Cet afflux fait que plus de la moitié des pratiquants se retrouvent à prier dans la rue.
La responsabilité en incombe d’abord aux pouvoirs publics, plus précisément au ministère de l’intérieur, qui autorise complaisamment l’occupation de l’espace public par ces mosquées. Elle incombe également aux gérants de ces établissements qui, pour des raisons pas toujours désintéressées, laissent se perpétuer une pratique peu valorisante pour l’Islam et ses fidèles.
Vous conviendrez que dans ces conditions, l’amélioration de la pratique du culte sur le quartier demande une prise en charge sérieuse du problème.
Cela implique un changement radical des comportements de la part des acteurs concernés.
D’abord des pouvoirs publics qui doivent, en la matière, s’en tenir à l’application de la loi et au respect des droits et des devoirs qui régissent l’exercice de tous les cultes. Leurs initiatives spécifiques dans ce domaine n’ont jamais véritablement profité à la cause qu’elles prétendaient servir.
Des gestionnaires de mosquées également, à qui incombe la responsabilité de veiller à réunir les conditions minimales indispensables à un exercice digne de la pratique du culte.
Des concernés eux-mêmes enfin, les croyants, qui doivent refuser d’accomplir la prière dans des conditions misérables qui leur sont faites. N’est-ce pas, traditionnellement, aux fidèles de se donner les lieux de culte qui leur conviennent ?
Qu’il faille remédier à la situation actuelle est une évidence.
Mais est-ce à la Mairie de Paris de suppléer aux manquements aux conditions de l’exercice du culte sur le quartier? Et si oui, est-ce en implantant une mosquée à vocation francilienne, de capacité sous dimensionnée par rapport à la fréquentation actuelle, dans un quartier fortement encombré et aux rues constamment saturées que l’on espère parvenir à régler le problème ?
Vous serez sans doute d’accord pour penser que les dix millions d’euros de fonds publics investis dans le projet seraient-il mieux employés à financer un établissement mieux adapté, dans un endroit spacieux, ouvert et accessible.

2- A propos des influences qui s’exercent sur l’Islam dans le quartier.

Précisons d’abord que pour justifier son projet sur la Goutte d’Or la Mairie de Paris fait référence à la présence historique des immigrés maghrébins dans le quartier.
Vous reconnaissez sans doute là, le lieu commun habituel réduisant systématiquement l’immigré maghrébin à sa prétendue identité religieuse. L’argument est fallacieux car, contre toute évidence, les maghrébins qui ont effectivement vécus en nombre dans ce quartier n’ont à aucun moment, depuis le début du siècle jusque dans les années 1980, manifesté leur appartenance confessionnelle ou réclamé et initié le moindre lieu de culte.
Il est vrai que le développement de l’immigration familiale, depuis cette époque, avec l’installation et la sédentarisation dans le quartier de familles venues rejoindre le père travailleur a quelque peu modifié la donne. Avec le temps, il s’est développé au sein de ces populations et de leur progéniture le besoin légitime d’affirmer leur place au sein de la collectivité et de faire connaître et reconnaître les éléments constitutifs de leurs identités d’origine. Que l’Islam en soit le substrat n’est en rien surprenant s’agissant de populations originaires de pays à sensibilité musulmane. Mais cette affirmation identitaire initiale ne reposait nullement sur l’appartenance confessionnelle. Elle était citoyenne et laïque.

Rappelez-vous qu’au cours des années 1980, elle était portée par les mouvements de jeunes issus de l’immigration qui revendiquaient pour eux et leurs familles l’égalité citoyenne et la reconnaissance de leur différence conçue comme la liberté d’exprimer et de valoriser leurs spécificités culturelles, artistiques, linguistiques dans l’espace publique français. Il y avait là une volonté d’affirmation de soi dans une démarche d’ouverture aux autres et d’intégration à la société d’accueil.
Cette revendication à donné lieu à de grandes mobilisations politiques de jeunes (marche des « Beurs » pour l’égalité), à de puissants mouvements sociaux (grèves de travailleurs immigrés dans l’automobile notamment) et à l’émergence de l’expression culturelle maghrébine sur la scène publique.
Mais ce mouvement d’affirmation et d’émancipation a trouvé ses limites dans les multiples obstacles dressés sur le chemin de l’intégration économique et sociale de la jeunesse issue de l’immigration.
Avec le temps et les désillusions la revendication identitaire initiale va peu à peu être détournée vers l’affirmation d’une identité islamique. L’appartenance religieuse et communautaire apparaît alors comme un thème majeur de mobilisation pour revendiquer une place dans la société française.

L’Islam devient un enjeu politique et idéologique au sein de la société française.
Cette évolution est portée par diverses instances intéressées. Qu’il s’agisse d’associations cultuelles locales plus ou moins liées à des mouvements piétistes de réislamisation des immigrés type « jama’at al tabligh » (société pour la propagation de l’islam), d’associations religieuses liées aux Etats des pays d’origine soucieux d’exercer un contrôle sur leurs ressortissants ( Algérie et Maroc notamment), de groupements d’islamistes militants adeptes d’un intégrisme en plein essor ou enfin d’institution étatiques françaises ou de politiciens locaux attentifs à l’émergence d’un possible vote musulman, tous cherchent à étendre leur influence et à exercer un contrôle politique et religieux sur les populations à sensibilité musulmanes dans les quartiers.

A partir des années 1980, deux évènements vont se conjuguer pour favoriser la propagation de l’islam en France.
Il s’agit en premier lieu de l’afflux massif de financements en provenance des pays arabes du Golfe et plus particulièrement d’Arabie Saoudite. Ces fonds sont dispensés directement par le Royaume ou par l’intermédiaire du bureau parisien de la Ligue Islamique Mondiale, d’obédience saoudienne qui est chargée d’aider les associations islamiques à acquérir la propriété de locaux et à implanter des mosquées dans les quarter à forte présence d’immigrés.
Il en est résulté un accroissement très rapide du nombre de mosquées et de salles de prière en France. Plus d’un millier d’entre elles ont été aménagées entre 1980 et 1985 dont la mosquée « EI Feth », rue Polonceau à la Goutte d’Or financée par des fonds saoudiens.
Vous noterez, en passant, que ces financements n’ont généralement donné lieu qu’à des édifices peu adaptés de même type que ceux que vous connaissez dans notre quartier.

Le second évènement majeur est le renversement du pouvoir du Chah par la révolution iranienne. Cet événement a joué un rôle d’accélérateur de l’affirmation de l’identité islamique en suscitant parmi les populations immigrées un élan de sympathie à l’égard de cette révolution islamique qui est apparue, un moment, comme une alternative possible aux régimes dictatoriaux au pouvoir dans tous les pays arabo-musulmans.
Cette rencontre des dollars saoudiens et du prestige des ayatollahs iraniens a créé, par delà les divergences doctrinales entre wahabisme et schiisme, les conditions matérielles et idéologiques qui ont présidé à l’avènement de l’islam sur la scène publique française.

3 - Les différents types d’opposition à ce projet de la Mairie.
Le projet de centre des cultures musulmanes envisage d’intégrer la mosquée de la rue Polonceau et celle de la rue Myrha. Il sera réparti sur deux sites, l’un rue Polonceau et l’autre à l’angle de la rue Stephenson et Doudeauville.

La première opposition vient des habitants qui ont une bonne connaissance des difficultés du quartier et notamment les problèmes d’encombrement et de stationnement, sans oublier la surcharge du métro certains jours de la semaine.
Le centre des cultures musulmanes étant présenté comme ayant vocation d’accueillir les habitants de toute l’Ile-de-France beaucoup de résidents du quartier se sont alarmés quand ils ont découvert le projet. Parmi eux, on peut penser, que la plupart ne sont pas opposés à un lieu de culte musulman

La seconde opposition vient de personnes d’origine musulmane, arrivées avec les différentes vagues d’immigration, qui se sont installées dans le quartier et qui aspirent à y mener leur vie en tant que citoyen en dehors de toute allégeance communautaire, ethnique ou religieuse. Les chiffres au niveau national confirment cette tendance puisque 73% des immigrés interrogés se prononcent en faveur des valeurs républicaines notamment de la laïcité.
Parmi ce groupe de personne beaucoup ont gardé un contact étroit avec leur pays d’origine. Ils sont attentifs à ce qui s’y passe quand ils y retournent ou par les contacts familiaux qu’ils y ont gardés. Ils sont généralement très sensibles aux signes et aux pressions diverses qui peuvent se manifester sur le quartier. Certains sont déjà partis, inquiets de la montée du communautarisme religieux et de l’intégrisme qui s’est développé depuis les années 90. D’autres partiront, si les espaces religieux continuent, dans ces conditions, à être concentrés sur ce quartier.

Le troisième type d’opposition vient des gens qui restent très attaché au principe même de laïcité et qui considèrent que c’est un garde fou indispensable contre tous les intégrismes actuels et à venir. Ce garde fou est d’autant plus indispensable qu’au prétexte de « moderniser » on voit, chez nombre de nos politiques, la tentation de s’appuyer sur les différents communautarismes religieux. En un mot la laïcité reste le concept clef pour vivre ensemble sur ce quartier.
La quatrième opposition vient du recteur de la mosquée rue Myrha qui refuse catégoriquement de déménager sa mosquée pour intégrer le futur centre sur le site de la rue Stéphenson Doudeauville. Il estime qu’il s’agit d’une main mise de la Ville sur les affaires du culte musulman et que les musulmans sont des adultes qui peuvent les gérer eux-mêmes. Le mufti de Marseille ne dit pas autre chose quand il pense que les musulmans peuvent financer leurs locaux en particulier grâce à la « redevance » des boucheries hallales.

Ces quatre types d’opposition au projet se recoupent bien évidemment. Nous ne parlons pas ici de l’opposition raciste d’extrême droite qui doit cependant être prise très au sérieux car elle risque de trouver à l’occasion de ce projet du grain à moudre pour sa propagande

Nous nous arrêterons là pour le moment, restant bien entendu disponibles et attentifs à vos éventuels commentaires.

Le collectif Goutte d’Or Château Rouge