2.12.10

A Monsieur Delanoë à propos des salles de shoot

Monsieur le Maire de Paris,


Nous suivons attentivement votre préparation de l’opinion à l’idée d’installer des salles de shoot dans les quartiers du Nord Est Parisien. Les habitants de la Goutte d’or, qui ont déjà une bonne expérience des phénomènes induits par l’installation de ce genre de structures dans leur quartier, s’en sont alertés. Nombre d’entre eux, notamment les 1500 signataires de la pétition qui avait été adressée à la Mairie en octobre 2005, préfèrent, d’ores et déjà, prévenir les pouvoirs publics qu’ils n’accepteront pas l’installation de salles de shoot dans leur quartier. C’est une position unanime, qui rejoint par ailleurs un récent sondage d’opinion publié par l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanie (OFDT) en juin 2010, révélant que 73% des sondés sont contre de tels projets. Les habitants de nos quartiers ont déjà donné ! Ils s’étaient déjà fermement opposés, durant toute l’année 2005, et avec succès au projet d’une extension d’EGO (1), sous les fenêtres de la salle de lecture de l’Ecole Primaire de la Ville de Paris de la rue Cavé et devant l’église Saint Bernard. Les salles d’injection, en question aujourd’hui, n’en seront qu’une version aggravée.

Les raisons en sont simples. Les « salles de soins », et a fortiori les salles de shoot, drainent une population de poly-toxicomanes qui sont dans l’obligation de se procurer de l’argent par tous les moyens pour acheter leurs drogues. Il s’en suit vols, agressions et effractions. Il est, d’autre part, faux de prétendre que ces lieux ne reçoivent que les toxicomanes résidents du quartier. Beaucoup n’ayant pas de domicile fixe se déplacent et se concentrent autours de ces centres.

L’autre effet induit est que les dealers se regroupent et s’installent dans le voisinage de ce genre de lieu où, d’une part, ils sont sûrs de trouver leurs clients et, d’autre part, de bénéficier d’une certaine impunité, effet pervers de la circulaire du Ministère de la Justice du 17 juin 1999 (NOR JUS A 9900 148C) qui interdit aux services de Police d’intervenir directement à proximité de ces structures sans en avoir obtenu préalablement l’autorisation auprès du Procureur de la République (2). Dans les faits, cette disposition contribue à sanctuariser ainsi des périmètres d’impunité favorables aux trafics (3).

De tout cela nous avons déjà l’expérience dans les rues Saint Luc, Léon et Myrha, ainsi qu’au Square Léon principalement, mais pas exclusivement. Le métro Château Rouge ou le quartier La Chapelle avec la rue du même nom, la rue Marx Dormoy, la rue Philippe de Girard ont vécu ou vivent encore cette même expérience. Les bandes qui y opèrent exercent pression et intimidations, verbales ou physiques, aussi bien sur les commerçants que sur les résidents. C’est un des gros problèmes du quartier qui pourrit la vie des habitants depuis plusieurs années et fait obstacle à son développement commercial harmonieux et diversifié.

Nous ne voyons donc pas comment les promoteurs d’un tel projet, des responsables politiques redevables de leurs décisions devant leurs électeurs, peuvent ignorer ce qui est désormais connu de tous, sauf à vouloir fournir directement, eux-mêmes, dans ces centres, les drogues demandées à savoir des drogues dures telles que le crack. Cette éventualité, qui n’est pas jusqu’à ce jour affichée publiquement, poserait alors d’autres questions.

Monsieur Neyreneuf, adjoint au Maire du 18e, a reconnu hors micro que le précédent choix d’installer une structure comme EGO en plein centre d’un quartier de très grande densité urbaine et scolaire, avait été, pour reprendre son indulgent euphémisme, une « belle connerie ». Autre aveu, le local de l’association Charonne rue Philippe de Girard a été déplacé. Un bilan a donc déjà été fait à partir des expériences précédentes, même s’il n’a pas été rendu public, sur les erreurs à ne pas commettre. De leur côté, non seulement les habitants, mais aussi les experts de l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies), dans leur rapport de septembre 2003, intitulé « Médiations et Réduction des Risques » ont depuis longtemps tiré le bilan catastrophique de ces structures dans les quartiers de Château Rouge, La Goutte d’Or, La Chapelle et Barbès (4).

Au-delà de cette position, de nombreux habitants considèrent que cette pseudo solution des salles de shoot est une fausse solution et, bien plus, qu’elle s’apparente sinon à une lâcheté politique, du moins à une démission consistant à favoriser le maintien et l’enfermement (5) dans son addiction d’une population reléguée par un système économique injuste. Ils considèrent que l’interdiction de ces drogues dures ne doit pas être levée et que la plupart de ces poly-toxicomanes, qui relèvent à 80% de problèmes psychiatriques lourds, doivent être pris en charge par l’Hôpital Public. La solution ne consiste plus alors à fixer victimes et bourreaux, toxicomanes et dealers, sur et autour d’un même lieu, mais elle nécessite la constitution d’équipes d’infirmiers ou de médecins psychiatriques ambulants qui vont à la rencontre de ces toxicomanes pour établir le contact, leur apporter une aide ponctuelle mais régulière et les amener à accepter de se faire soigner. C’est peut être plus cher, mais c’est plus juste et plus courageux pour une société qui se réclame des droits de l’Homme et qui, selon le triptyque affiché sur le fronton de ses bâtiments publics se veut fraternelle (6).

Monsieur le Maire, le quartier de la Goutte d’or se mobilise. Si d’aventure vous tentiez, avec la complicité de monsieur Daniel Vaillant, de nous imposer une salle de shoot, sachez que les habitants s’y opposeront par tous les moyens. Sur le fond, faute de contribuer à l’élaboration d’une politique alternative sérieuse de santé publique qui redonnerait toute sa place à l’Hôpital public et à son secteur psychiatrique, votre choix est bien plutôt de lâcher les freins à moindre coût sur des phénomènes sociétaux de ce genre en en sous-traitant encore une fois la charge au monde associatif. Dix ans après l’échec patent de ces structures associatives et le bilan de leurs dégâts, oser nous resservir la même soupe encore plus amère sous forme de salles de shoot est une honte. Cela confirme tristement qu’une bonne partie de notre personnel politique, des élites municipales comme des élites de l’Etat, de gauche comme de droite, se sont très cyniquement séparées des préoccupations populaires des quartiers en difficulté.

Nous vous prions de croire, M. le Maire de Paris, en l’assurance de notre très critique considération ainsi qu’à notre grande vigilance.

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(1) Espoir Goutte d'Or, Association d'accueil de toxicomanes -crackers, créée au début des années 1990 et située 13 rue Saint Luc 75018, à moins de 100 mètres de l'entrée du Square Léon, carrefour de tous les trafics et des nuisances liées à la toxicomanie depuis plus de 15 ans, au beau milieu des familles et de leurs enfants

(2) Nous n’avons jamais obtenu de réponse infirmant sa validité actuelle

(3) Rapport de l’OFDT 2003 : « La vente des produits se pratique aux abords des structures, c’est indéniable » (page 29) ; « Les quartiers urbains dégradés se prêtent à un ensemble de pratiques illicites qui, même si elles sont repérées par les pouvoirs publics, notamment par la police, y sont tolérées jusqu’à un certain point, afin de les circonscrire aux quartiers déjà atteints » (page 21)

(4) Rapport de l’OFDT 2003, quelques perles de lucidité : « La Coordination n’a probablement pas convaincu, parce que c’est indéfendable, du bien-fondé de la concentration des structures sur un périmètre restreint sans qu’aucune autre ne soit ouverte dans d’autres quartiers pendant toute cette période » (page 65) ; « Le rôle de la Coordination se cantonne à une transformation de la vision que les riverains ont de la présence massive d’usagers de drogues dans leur environnement » (page 27); Elle doit « s’occuper des usagers et calmer les habitants » (page 27) ; « Pour EGO, le dispositif permet d’avancer vers « cette utopie politique » qu’est l’intégration de la toxicomanie dans le droit commun » (page 45)…

(5) Le Figaro du 22/07/2010 : «La problématique est toujours la même en France: on aide les drogués à se défoncer tant qu'ils veulent, pourvu qu'ils n'attrapent pas le sida», résume sous couvert de l'anonymat un psychiatre spécialisé en addiction qui a longtemps travaillé à Marmottan. «La thérapeutique des toxicomanes a complètement été inversée avec l'épidémie de sida. On a alors privilégié la “prévention du risque” (sida, hépatites) au détriment des dangers psychosociaux liés à la toxicomanie. Avec ce type de centre, on ne résout pas la question de la dépendance : on l'entretient», déplore encore ce spécialiste.

(6) Au regard de ces principes l’argument utilisé sans honte de retrouver une tranquillité publique par l’installation de ces structures fait partie du chapelet de fausses évidences égrenées à longueur de temps mais qui ne font plus illusion. Cantonner loin des beaux quartiers dans les quartiers populaires ou dans les banlieues, les déclassés sociaux, ceux qui plongés dans la toxicomanie sont déjà hors jeu, hors statistiques, hors chômage, relève plus de l’apartheid que d’une quelconque fraternité. L’apartheid des toxicomanes avec les habitants de ces zones urbaines.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Excusez moi, mais est-ce que vous ne commettriez pas un amalgame flagrant en rapprochant la violence des usagers de drogue avec la violence beaucoup plus systématique des bandes organisées.
Je suis un habitant du quartier depuis une dizaine d'année.
Merci.
S.